mercredi 15 avril 2015

Une vie en jeux - Dune II

Dune 2 title screen

Une vie en jeux, c'est un peu mon autobiographie ludique. Au programme : mes souvenirs de joueur, remis dans le contexte de leur époque, et parfois brutalement piétinés parce que j'ai fait l'erreur de relancer une de ces vieilleries, "pour voir".

C'est marrant comme ça fonctionne, la mémoire. La plupart du temps, quand je repense à un jeu, une foule de petits détails extérieurs me reviennent et me rappellent ce qu'était ma vie à l'époque : quelle musique j'écoutais, qui je fréquentais, où est-ce que je jouais, à quoi ressemblait mon bureau... Ce n'est pas le cas pour Dune II. Là, c'est le vide total. Je me rappelle uniquement d'une voix féminine qui me dit

"Warning, enemy unit approaching."

Puis, de cette musique.

Et je flippe comme jamais.

Dune II strategic map

Dune II est considéré comme le père des jeux de stratégie en temps réel (STR). Il y a eu des précurseurs, mais le titre de Westwood Studios était le premier à mélanger avec talent des éléments de gameplay comme la carte stratégique, la construction de base et d'unités, la gestion de ressources ou encore le fait de pouvoir jouer trois factions différentes. Aujourd'hui, l'interface est préhistorique et incommode ; à l'époque, elle était révolutionnaire, et a été largement copiée. Jamais on avait fait la guerre dans d'aussi bonnes conditions.

Mais pourquoi est-ce qu'on fait la guerre, déjà ? Parce que l'empereur Frederick IV a envoyé trois maisons nobles sur la planète Dune, et que celle qui récoltera le plus d'épice - sorte de pétrole intergalactique local - en deviendra le gouverneur. Bien sûr, tous les coups sont permis, et ça tourne rapidement à la foire aux missiles. Sur la carte stratégique ci-dessus, passée la première mission, on est contraint d'attaquer un territoire occupé par l'ennemi. Et c'est là que mes ennuis commencent.

Dune 2 scenario start

Dune II est peut-être un des premiers jeux à m'avoir mis dans un tel état de tension. En cliquant sur le territoire d'une maison rivale, je savais que ce serait dur. Que je serais mis à l'épreuve. En début de partie, le brouillard de guerre entourant ma base me paraissait extrêmement menaçant. J'explorais timidement, bien loin de la reconnaissance systématique que je fais d'instinct dans les STR modernes. Aujourd'hui, je rationalise la production, le contrôle du terrain etc. A l'époque, je n'avais pas les outils mentaux pour rationaliser, et j'avais la sensation qu'une unité ennemie - ou un ver des sables - allait me tomber dessus à tout moment.

C'était comme un vertige. Je me sentais toujours sur le point de perdre le contrôle. Ce vertige, certains l'ont théorisé comme une des quatre composantes essentielles d'un jeu : l'ilinx (Si ça vous intéresse, jetez un oeil à Philosophie des jeux vidéo de Triclot, il en parle très bien.) Et c'est probablement cet ilinx, ce vertige, qui m'a perturbé la mémoire : concentré sur le fait que j'allais peut-être me faire déborder par l'ennemi, j'oubliais complètement le monde qui m'entourait. Quand soudain :

"Warning, enemy unit approaching."

Dune 2 destroying enemy base

En relançant le jeu, je me rends compte que l'interface est pour beaucoup dans cette tension. On ne peut pas sélectionner plusieurs unités à la fois : dès que l'armée atteint une taille respectable, il faut cliquer un nombre de fois incalculable pour pouvoir monter une offensive. Ca en devient presque un jeu d'adresse, et maintenant encore je me sens un peu débordé. Malgré tout ça, on sent déjà en germe ce qui va faire la popularité du genre : cette tension qui s'accumule au cours de la partie, et qui ne retombe qu'avec la victoire - ou la défaite - finale.

Je ne me rappelle pas avoir fini Dune II. J'étais très jeune, c'était peut-être trop dur pour moi. En y rejouant, je me rends compte que l'intelligence artificielle est assez basique, et que des années de Starcraft m'ont rendu capable de bien gérer la production d'unités. Je pourrais facilement le terminer. Mais même en rationalisant de cette façon, la tension demeure. Pris dans l'univers de Frank Herbert, je guette les vers des sables et les troupes Harkonnen qui rôdent alentour. Hein ? Mais qu'est-ce que

"Warning, enemy unit approaching."

Brrrr...

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